Une taverne. Surpeuplé, surchauffé, une odeur de sueur et d’alcool trainant dans l’air, des voix bruyantes et bourrues. Un endroit perdu dans les tréfonds de la capitale Trikru. Un endroit que les bonnes gens ne fréquentaient pas, où trainaient seulement la vermine de la pire espèce. Un lieu propice pour se morfondre, regretter, se lamenter, pleurer sur sa vie misérable, se permettre, pendant un moment, de laisser tomber le masque, se laisser aller à ses sentiments, redevenir humain, plus la machine de guerre que tout le monde voulait voir, devait voir.

Une petite fille courrait dans les rues de Tondc. Insouciante, souriante, innocente, voyant l’apprentissage du maniement des armes comme un autre jeu, ne comprenant pas encore qu’on la formatait à un futur rôle, une future place dans l’armée des arbres.

Un bûcher. L’odeur de la chair brûlée. Les cris, de tristesse, de souffrance, d’agonie. Plus d’innocence, d’insouciance, de sourires. Seulement la douleur, la douleur atroce qui comprimait ses poumons, couvrait ses yeux de larmes. La douleur de voir ses parents mourir, de comprendre qu’ils ne marcheraient plus jamais à ses côtés, ne seraient plus là pour la soutenir. Plus qu’une douleur, une sensation atroce et dévastatrice, une sensation horrible et indescriptible, une sensation qui ne partira jamais, qui restera collée à la peau. Les meurtriers absents, ne permettant même pas à la vengeance de dissiper un peu cette sensation. Les yeux de la petite fille, bientôt une femme, se fermèrent devant les cendres. Le cœur se ferma également, emportant les sentiments avec lui, les effaçant du visage, ne laissant que la colère et la haine, l’envie de réduire tout à néant.

Le sang chaud, âcre, liquide, s’échappant du corps bientôt sans vie. Les mains tentant de le retenir, de le garder à l’intérieur, d’endiguer cette évasion. Des mains tremblantes, guidées par un cerveau sachant déjà que toute tentative était vaine. La blessure était trop grave, trop mortelle. Rien ne pourrait sauver le second. La petite fille, maintenant jeune cheffe de guerre, fraichement promu, assista, impuissante, à un autre de ses échecs. Ses mains finirent par ne plus bouger, à tomber dans l’herbe souillée d’écarlate. Les larmes se mêlèrent au sang. Autour, la bataille continuait, le monde ne s’arrêtait pas pour un mort. Le jeune second n’était pas le premier à mourir pendant l’Expansion. Il ne serait pas le dernier. La jeune Wormana soupira en regardant le ciel. A quoi cela servait de ressentir quelque chose si c’était pour souffrir ?

Deux yeux émeraude. Deux yeux qui réussirent à percer les murs de la Wormana. Ils mirent longtemps. Mais ils finirent par y arriver. Ils ne changèrent rien, mais apportèrent un peu de joie, d’optimisme, de renouveau. Lexa devint la petite sœur que la Wormana n'avait pas eu le temps de connaitre. Mais il resta une distance, infime mais présente. Un cœur ne pouvait souffrir éternellement, le cerveau en avait conscience. Conscience qu’une perte de plus serait celle de trop. Qu’il ne fallait plus grand-chose avant que le bonheur disparaisse définitivement, que les sourires déjà rares ne fassent plus jamais leur apparition.

Une trainée de feu dans le ciel. Une arrivée inattendue et surprenante. Surprenante même si beaucoup savaient comment cela se finirait. La Wormana s’en doutait, ce n’était qu’une guerre de plus qui approchait, que de nouveaux ennemis à abattre. Rien de nouveau sous les arbres.