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| Sujet: [ LIBRE ] Curiosity killed the cat Mar 5 Juin - 23:04 | |
| Cela en faisait, une longue errance, depuis Mekiwah. Surtout pour une ourse boiteuse de son espèce, amputée d'une partie de sa force et de ses réflexes. Mais ce genre de considérations n'était pas de celles qui encombraient son esprit tortueux. La rationalité et sa prudence habituelle avaient momentanément laissé place à doux poison qui l'excitait comme elle ne l'avait jamais été. Même lorsqu'elle avait pu éliminer sa mère, elle ne s'était pas sentie aussi... vibrante, si cela était le terme. La caste, leur ichor nauséabond, ce sang volcanique qu'elle partageait avec elle ne l'avait pas arrêtée ce jour là. L'enchevêtrement de pensées qui pesait habituellement sur ses épaules ne serait pas assez lourd, cette fois, pour l'empêcher de succomber à ses velléités curieuses et assoiffées de témoignage. Ses yeux clairs et avides, transparents de ce qu'elle souhaitait avouer, ne seraient pas de trop pour découvrir les mystérieux enfants, naufragés d'un ciel détestable qui ne voulait plus d'eux.
C'était une mauvaise idée, tout ça, le murmure traître d'un destin funeste. Le froid avait engourdi sa jambe, raide comme un roseau. Son cheval continuait à avancer, animal digne, autant dans sa carrure que dans sa robustesse, probablement dix fois supérieure au premier homme venu. Whea aimait les chevaux : ils étaient une agréable et digne monture, à la carrure et la robustesse indéniable. De plus, ils étaient un rempart très appréciable face aux menaces grisâtres et carmines qui trimbalaient dans leur sillage un châtiment sanglant, comme une mélodie lointaine qui se fondait avec les horizons qu'elle pouvait apercevoir au-delà des steppes. Mais Whea ne se sentait pas en danger; après son passage à Odjiwa - où, petite fille modèle, elle avait fait le deuil de sa mère lorsqu'elle était encore saine d'esprit et étouffé les hurlements de celle qui avait définitivement perdu l'esprit, qui était parti en balade là d'où on ne revient jamais - elle avait joint une caravane de voyageurs en prétextant s'arrêter, quelle coïncidence, au dernier village sur le territoire, tout au Sud, là où le blé chatouillait les lèvres sensibles des petits enfants qui courraient à toute allure vers le soleil qui semblait vouloir s'écraser dans les prés après une tirade suicidaire.
Une fois la frontière traversée, ce fut à la fois plus simple et compliqué. Plus simple car le climat était bien plus doux et le voyage bien moins fatiguant. Plus compliqué, car la zone où elle se trouvait était une zone de non-droit, cimetière à ciel ouvert, vétuste ruine de ce qui avait été avant l'Expansion initiée par son propre clan. Ici, rien que de la forêt. Le paradis des botanistes et autres empoisonneurs. Whea n'avait pas peur de se faire tuer. Elle ne voyageait pas nue : un poignard assez tranchant pour blesser son adversaire. Certes, elle ne savait que très peu se battre, mais les auspices qu'elle rencontre un autre natif étaient très faibles. Son allure générale la rendait inoffensive, voire même enfantine à certains moments. Néanmoins, elle avait camouflé son teint grisâtre et ses lèvres gercées par un voile aux couleurs chaudes qui jetait un doute considérable sur ses origines - Fayakru ? Graugenda ? - et qui dissimulait ses cheveux aussi sombres qu'une éclipse.
Après plusieurs jours de voyage, elle était enfin dans le périmètre habité par les envahisseurs. Comment les nommer autrement ? Ils chutaient vulgairement des astres comme des millions de petites mouches à sang crevées mais semblaient avoir construit un microsome de vie dans ces bois inhospitaliers. Si Whea était loin d'être aussi discrète qu'un espion ou même qu'une sentinelle, elle restait bien plus furtive que le Skaikru lambda. Ainsi, elle avait pu observer d'étranges formations en forme de croix de bois fins, à même le sol, piquées dans la terre fertile. Était-ce un salut à une divinité quelconque ? Ou peut-être enterraient-ils leurs morts, réalisa t-elle en frissonnant. Cela lui paraissait... si sale. Indigne d'un humain.
Elle passa plusieurs jours à les regarder, deux grandes prunelles, perles de lagon, rivées sur le petit groupe comme si elles n'avaient que cela à fixer. Elle se délectait. Ils étaient à la fois primaires et plus avancés qu'eux. Et le sublime fer qui les protégeait... elle mourrait d'envie de l'effleurer. Mais sa prudence, pour la première fois depuis des jours, reprit le dessus. Trop dangereux. Elle décida de rebrousser chemin... pour aujourd'hui du moins. Elle avait encore des questions à propos des funestes messagers et la forge était entre les mains d'un de ses collaborateurs les plus précieux. On pouvait toujours appeler cela du repérage de clientèle, non ? Pour une infirme, elle se mouvait de manière presque élégante - danseuse dans le corps d'un pantin de bois -, comme si elle faisait corps avec la mère sylvestre. Celle-ci l’accueillait comme une de ses filles. Whea en était flattée. Le reste de la journée aurait été un périple silencieux si au détour d'un chêne, elle n'avait pas croisée une silhouette courbée, qui tendait la main vers un buisson abritant de dizaines de petites baies couleur réglisse, luisantes sous la lumière moite. La froide voyageuse hésita fortement; le destin de cette personne lui importait guère et elle n'avait aucun intérêt immédiat à dévoiler son existence même. Pourtant... " Si j'étais toi, j'éviterais. C'est de la belladone. Je peux te décrire les effets si tu souhaites les expérimenter, mais cette curiosité te conduira à la mort. A moins que ce ne soit ton but. Dans ce cas, je peux te transpercer de mon poignard. Ce sera légèrement plus digne. " acheva t-elle d'un air sévère qui semblait naturel sur son visage de matriarche crapuleuse. |
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